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TOUS LES SPECTACLES SE JOUENT à L’OPÉRA DE MONTE-CARLO
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Alcina
20, 22, 24 & 26 janvier 2023
Opéra
Direction musicale Gianluca Capuano
Mise en scène Christof Loy

Haendel Alcina

Opéra
vendredi 20 janvier 2023 - 19 h (Gala)
dimanche 22 janvier 2023 - 15 h
mardi 24 janvier 2023 - 19 h
jeudi 26 janvier 2023 - 19 h
Opéra de Monte-Carlo

Dramma per musica en trois actes
Musique de Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Livret anonyme, adapté de L’Ile d’Alcina de Riccardo Broschi (1728) 
d’après Roland furieux de L’Arioste (chants VI et VII)
Création : Londres, Covent Garden, 16 avril 1735

Première à l’Opéra de Monte-Carlo en version scénique

Coproduction avec l’Opéra de Zurich
 

Œuvre de féerie, de musique et de danse, l’Alcina de Haendel ne reparaît au XXe siècle que furtivement en 1928 avant de connaître une véritable renaissance à partir des années 1960. Au-delà de ces premières lectures littérales, comment le XXIe siècle peut-il nourrir notre perception de cette œuvre?

Le metteur en scène Christof Loy, dont une précédente réalisation –Ariodante– avait été vue sur la scène monégasque en 2019, transforme ici le royaume magique d’Alcina en métaphore du théâtre. Son idée, riche de possibilités, est construite autour du rôle-titre, interprété par Cecilia Bartoli. Capable d’exprimer toutes les strates d’identité qui se superposent, elle offre ici toute la multiplicité de son incarnation: elle est à la fois le personnage d’Alcina mais aussi la cantatrice ancrée dans son statut de diva. Ce concept de théâtre dans le théâtre est merveilleusement mis en valeur par les somptueux décors de Johannes Leiacker et les subtils costumes d’Ursula Renzenbrink, nimbés par les lumières de Bernd Purkrabek. Autour du rôle principal et accompagnée par la baguette idiomatique de Gianluca Capuano, on retrouve la fine fleur des interprètes de ce répertoire exigeant une absolue maîtrise technique et musicale mais aussi une sensibilité théâtrale aiguë.

Vidéos

3 ©OMC - Cassette vidéo
Maîtres d'œuvre
Direction musicale | Gianluca Capuano
Mise en scène | Christof Loy
Décors | Johannes Leiacker
Costumes | Ursula Renzenbrink
Lumières | Bernd Purkrabek
Chorégraphie | Thomas Wilhelm
Assistant à la mise en scène | Heiko Hentschel
Assistant à la lumière | Dino Strucken
Assistant à la chorégraphie | Joe Monaghan
Chef de chant | So Young Sim
Distribution
Alcina | Cecilia Bartoli
Ruggiero | Philippe Jaroussky
Morgana | Sandrine Piau
Bradamante | Varduhi Abrahamyan
Oronte | Maxim Mironov
Melisso | Péter Kálmán
Cupido | Katharine Sehnert
Petits rôles | Galia Bakalov, Vincenzo Cristofoli, Salvatore Taiello
Les musiciens du Prince – Monaco
Biographies des artistes
Équipes artistiques et techniques

LES MAÎTRES D’ŒUVRE

Direction musicale
Gianluca Capuano

Mise en scène
Christof Loy

Assistant à la mise en scène
Heiko Hentschel

Décors
Johannes Leiacker

Costumes
Ursula Renzenbrink

Lumières
Bernd Purkrabek

Assistant aux lumières
Dino Strucken

Chorégraphie
Thomas Wilhelm

Assistant à la chorégraphie
Joe Monaghan

Chef de chant
So Young Sim

SOLISTES

Alcina
Cecilia Bartoli

Morgana
Sandrine Piau

Ruggiero
Philippe Jaroussky

Bradamante
Varduhi Abrahamyan

Oronte
Maxim Mironov

Melisso
Péter Kálmán

Cupido
Katharine Sehnert

PETITS RÔLES
Galia Bakalov, soprano
Vincenzo Cristofoli, baryton
Salvatore Taiello, ténor

DANSEURS
Stefano De Luca
Oskar Eon
Erick Odriozola
Rouven Pabst
Lukasz Przytarski
Anatole Zangs

FIGURANTS
Peter Bateson
Albert Braquetti
Thierry Hesme
Jean-François Loppin
Alain Louis-Jacquet
Mario Marrone
Paola Scaltriti

LES MUSICIENS DU PRINCE – MONACO

Violons I
Enrico Casazza (leader)
Ágnes Kertész
Muriel Quistad
Roberto Rutkauskas
Agnes Stradner
Anna Urpina Rius
Andrea Vassalle

Violons II
Francesco Colletti (leader)
Laura Cavazzuti
Svetlana Fomina
Reyes Gallardo
Diego Moreno Castelli
Massimo Percivaldi

Altos
Diego Mecca (leader)
Erica Alberti
Patricia Gagnon
Bernadette Verhagen

Violoncelles
Marco Frezzato (leader)
Nicola Brovelli
Anna Camporini
Antonio Carlo Papetti

Contrebasses
Roberto Fernández De Larrinoa (leader)
Clotilde Guyon

Flûtes à bec
Marco Scorticati (leader)
Benny Aghassi

Hautbois
Andrea Mion (leader)
Guido Campana

Basson
Benny Aghassi

Cors
Erwin Wieringa (leader)
Dileno Baldin

Orgue et clavecin
Davide Pozzi

Clavecin
Gabriele Levi

Théorbes
Miguel Rincon Rodriguez (leader)
Elisa La Marca

Harpe
Marta Graziolino

Percussions
Paolo Nocentini

PERSONNEL DE SCÈNE

Régie

Directeur de scène
Xavier Laforge

Régisseur principal
Elisabetta Acella

Régisseur
Jérôme Chabreyrie

Régisseur d’orchestre
Nicolas Payan

Régisseur lumières
Ferxel Fourgon

Régisseur sur-titrage
Sarah Caussé

Technique

Directeur technique
Vincent Payen

Chef machiniste
Carlos Grenier

Chef machiniste adjoint
Olivier Kinoo

Sous-chefs machinistes
Yann Moreau
Franck Satizelle

Techniciens de plateau
Schama Imbert
Khalid Negraoui
Laurent Barcelo
Frédéric Laugier
Jean-Philippe Faraut
Thomas Negrevergne
Jean-François Faraut
David M'Bappé
Axel Gbedo
Morgan Dubouil

Chef électricien
Benoît Vigan

Chef électricien adjoint
Gaël Le Maux

Techniciens lumière
Nicolas Alcaraz
Grégory Campanella
Ludovic Druit
Felipe Manrique
Laurent Renaux

Pupitreurs
Grégory Masse
Dylan Castori

Responsable audio/vidéo
Benjamin Grunler

Chef accessoiriste
Audrey Moravec

Accessoiristes
Heathcliff Bonnet
Franck Escobar
Roland Biren
Nicolas Leroy

Chef costumière-habilleuse
Eliane Mezzanotte

Chef costumière-habilleuse adjointe
Emilie Bouneau

Sous-chef costumière-habilleuse adjointe
Véronique Tetu

Habilleurs
Christian Calviera
Nadine Cimbolini
Lili Fortin
Edwige Galli
Julie Jacquet
Stéphanie Putegnat
Florence Rinaldino
Lauriane Senet

Chef perruquière
Déborah Nelson

Perruquiers
Jean-Pierre Gallina
Corinne Paulé
Francine Richard
Marilyn Rieul

Maquilleurs
Alicia Bovis
Sophie Kilian 
Sofia Motta 
Rémy Rebaudo 

Synopsis
Argument

Ruggiero a rencontré la reine Alcina et succombé à ses charmes. Son royaume est le royaume magique de la beauté et de l‘illusion. Ensorcelé par Alcina, Ruggiero a complètement oublié son passé et son épouse Bradamante. Alcina, pour qui l‘amour jusqu‘alors n‘était qu‘un jeu, est saisie d‘une passion profonde et à ce jour encore inconnue. Accompagnée de leur ami commun Melisso, Bradamante est partie à la recherche de Ruggiero. Elle est déterminée à le reconquérir. Par précaution, elle s‘est  déguisée en son frère jumeau Ricciardo.

 

Acte I

Bradamante et Melisso ont trouvé le chemin du royaume d‘Alcina et sont accueillis par sa jeune sœur Morgane, qui tombe immédiatement amoureuse du faux «Ricciardo». Morgane amène les étrangers chez Alcina et Ruggiero. A son grand désarroi, Bradamante s‘aperçoit que Ruggiero ne la reconnaît plus et qu‘il a perdu, semble-t-il, tout souvenir d‘elle. Lorsqu‘Oronte aussi prend Bradamante pour un homme, il y aura des complications supplémentaires: Le fiancé de Morgane veut se débarrasser de son rival potentiel. Il le calomnié auprès de Ruggiero en inventant une passion de la part d‘Alcina pour «Ricciardo». La jalousie s‘installe très vite et la relation entre Alcina et Ruggiero connaît une première fissure. Entre-temps, Morgane avoue son amour au jeune «Ricciardo». Bradamante ne sait pas comment se tirer d‘affaire. Abandonnée par son mari, elle garde son rôle d‘homme qu‘elle s‘était choisi et fait croire à Morgane qu‘elle l‘aime.

 

Acte II

Melisso réussit à rappeler à Ruggiero le souvenir de son ancienne vie et de Bradamante. Ruggiero comprend que par amour pour Alcina il s‘était abandonné lui-même, que cet amour l‘avait rendu aveugle et qu‘il avait été victime d‘illusions sensorielles. Alcina et tout son royaume lui apparaissent désormais comme des chimères. Bientôt, il reconnaît aussi son épouse Bradamante et tous deux conviennent de quitter le royaume d‘Alcina. Alcina est arrachée de ses rêves: Ruggiero va l‘abandonner et la laisser seule. Mails elle est déterminée à lutter par tous les moyens pour son amour. Entre-temps, Morgane a découvert que «Ricciardo» n‘est autre que Bradamante, l‘épouse de Ruggiero. Ce constat est amer pour tous les amants, les rêves et les cauchemars se démêlent, un nouveau jour se lève.

 

Acte III

Morgane se tourne à nouveau vers son ancien amant Oronte. Les deux parviennent à se regarder dans les yeux à nouveau. Alcina qui voulait toujours vivre le moment présent s‘accroche à l‘illusion d‘un amour éternel. Elle ne peut pas lâcher prise de Ruggiero et veut garder son rôle de reine irrésistible et invulnérable. Ruggiero retourne dans son ancien monde, où le rôle de l‘homme et de la femme est bien défini: Un monde dans lequel l‘homme est censé être un héros. En signe de son héroïsme, Bradamante exige que Ruggiero détruise Alcina et son empire. Ruggiero obéit et le royaume s‘effondre en ruines – perdu le royaume de la beauté, de la sensualité, des illusions et de la poésie. Mais Alcina est une fée et les fées ne mourront pas. 

À propos d’Alcina...

Dernier volet de la trilogie de l’Arioste, Alcina croise les pouvoirs surnaturels d’Orlando avec l’introspection sentimentale d’Ariodante. La dimension magique de l’Arioste infuse toute la partition mêlant tous les arts même si l’artifice n’est ici que le reflet des pouvoirs illusoires d’une magicienne esclave de l’amour. Si Alcina est la plus grande héroïne haendélienne, c’est aussi parce qu’elle est double, courant après le véritable amour comme après une chimère, magicienne en son royaume chosifiant ses amants en animaux de peur d’aimer. De ce point de vue, Alcina est bien le jumeau féminin d’Ariodante, deux formes opposées pour une même introspection sentimentale. Mais cette fois Haendel élude toute tentative de déstructuration pour aboutir à une peinture de sentiments dans la plus pure approche de l’opera seria, restaurant la primauté du chant sur le drame. Avec Alcina, il fait entrer l’opéra dans l’âge adulte du théâtre moderne, ouvrant la voie à une psychologie nouvelle. Non seulement Alcina, c’est lui, l’artiste n’ayant pu, ni su, aimer ou être aimé. Mais c’est aussi l’aveu par la fin des sortilèges du spectacle que l’opéra n’est plus. Les derniers feux romantiques d’Alcina sont d’autant plus beaux qu’ils ont un goût de cendres, annonçant cette fois véritablement la fin de l’opera seria à Londres. Autoportrait de l’artiste en diva déchue, comme tout mythe, Alcina renaît, à chaque représentation. Ce qui reste un des plus beaux rôles du répertoire lyrique féminin, avec ses six arias magistrales, n’a cessé d’inspirer les plus grandes divas comme, dernièrement, Cecilia Bartoli. Toute la force de l’approche de Christof Loy est de mettre en abîme la diva et le théâtre lui-même pour mieux servir le mythe de ce qui reste sans aucun doute l’œuvre la plus secrètement intime de son compositeur.

Entretien avec Christof Loy

Christof Loy

L’amour nous rend vulnérables
 

Christof Loy, pour la troisième fois, vous consacrez une nouvelle production à l'opéra Alcina de Haendel. D'où vous vient une telle prédilection pour cette œuvre ?

C'est un peu le fruit du destin si l'on me demande aussi souvent de mettre en scène Alcina. A dire la vérité, je me sens tout autant attiré par Ariodante et Orlando, les deux autres œuvres tirées de l'épopée Orlando furioso de L’Arioste qu’Haendel a composées à Londres en l'espace de trois ans. C'est dans ces trois œuvres, selon moi, qu'il a su porter à la perfection le profil psychologique de ses personnages. La manière dont tout un univers se dévoile à nos yeux me touche tout particulièrement.

 

Qu'entendez-vous par-là ?

Alcina me fait souvent penser aux pièces de Shakespeare dans lesquelles se succèdent abîmes tragiques et scènes légères, mais où le sentiment dominant reste celui de la mélancolie. L'atmosphère ambiguë qui y règne oscille entre le genre comique et tragique. Il en va de même pour Alcina, opéra magique qui transporte le spectateur dans un monde fantastique. La confusion des sexes que l'on retrouve dans les pièces shakespeariennes telles que La nuit des rois ou Comme il vous plaira est également reprise dans Alcina. Cet usage courant au théâtre permet de poser des questions d'ordre général sur soi-même et sur autrui.

 

Voyez-vous d'autres liens avec Shakespeare ?

Haendel n'exprime aucun jugement de valeur à l'égard de ses personnages. Toute la complexité et la diversité de la vie sont représentées dans son univers théâtral. Les personnages sont sculptés avec une telle intensité que le spectateur a du mal à prendre clairement position. Certes, on se sent inévitablement attiré par Alcina, on compatit, on s'identifie à sa souffrance de femme abandonnée, même s'il faut bien admettre de façon objective qu'elle ferait piètre figure devant un tribunal. Pour ce qui est de Ruggiero, on se réjouit à la fin de l'opéra de le voir retrouver sa vitalité initiale ; pourtant, dans le même temps, on garde à l'esprit le destin sombre d'Alcina. Au cœur de ce tourbillon d'émotions et de blessures, on ne saurait distinguer entre auteurs et victimes.

 

Ruggiero, un croisé dans l'œuvre d'Arioste, échoue sur les rives du royaume d'Alcina après un voyage aventureux, Comment percevez-vous ce personnage ?

Je reconnais une figure proche de celle de Wilhelm Meister, héros du roman d'apprentissage de Goethe. Je vois en Ruggiero un jeune homme qui refuse d'accepter la réalité pendant ses années d'apprentissage : en effet, l'île enchanteresse d'Alcina est un monde irréel et inconstant dans lequel il perd ses vertus et un peu de son identité. Il se comporte tel un pompant figurant au cœur d'une chimère. Je peux bien m'imaginer que Ruggiero, jeune homme relativement ordinaire rentré dans les rangs à la fin de l'opéra, se souviendra peut-être plus tard avec nostalgie d'un univers moins limité que son monde normalisé, rationnel et moralisateur.

 

... Toutes les valeurs incarnées par Bradamante, l'épouse de Ruggiero.

Exact. Cependant, Bradamante et son acolyte Melisso, tout d'abord étrangers au royaume d'Alcina devront, eux aussi, se remettre en question et auront l'occasion d'élargir leurs horizons et d'enrichir leurs expériences. A leur arrivée, ils ne savent plus qui ils sont, ce qu'ils sont, et se laissent submerger par la beauté du lieu. Toutefois, les deux personnages acquièrent toujours un peu plus de pouvoir dans ce monde imaginaire, à tel point que, à la fin, on a l'impression que c'est Alcina qui ne trouve plus sa place dans cet univers.

 

Vous avez décrit l'île d'Alcina comme un monde irréel et instable. Quelles répercussions cela a-t-il en termes de mise en scène ?

Cette irréalité ainsi que les parallèles et liens thématiques avec Wilhelm Meister de Goethe m'ont amené à choisir la forme du théâtre baroque en tant que représentation métaphorique du royaume insulaire d'Alcina : un monde d'illusions, un reflet de la réalité que l'on peut interpréter de manière positive ou négative, selon la perspective que l'on adopte.

 

Quel rôle Alcina joue-t-elle dans ce chatoyant monde illusoire ?

Alcina me fait penser à la diva du cinéma muet Norma Desmond dans le film Sunset Boulevard de Billy Wilder : elle ne parvient pas à distinguer la frontière entre la réalité et les scènes qu'elle joue. De même, Alcina a l'habitude de feindre ses sentiments afin de manipuler les autres. Jusqu'ici, elle ne s'était jamais souciée du sort des hommes qu'elle utilisait pour satisfaire sa convoitise avant de les laisser choir. En rencontrant Ruggiero, c'est elle qui devient victime de ses propres sentiments. Au fil de l'action, Alcina découvre qu'elle est, au fond, une femme extrêmement vulnérable ; elle commence enfin à comprendre que tout ce qu'elle a créé est complètement illusoire et aussi fragile que sa relation avec Ruggiero.

 

Cette expérience amère rapproche Alcina de l'opéra Così fan tutte de Mozart...

J'en reviens toujours à ce même constat : tous les personnages de la pièce se rendent compte par le biais de nouvelles rencontres que l'amour n'est pas simple, qu'il nous rend au contraire vulnérables et qu'il peut nous conduire au bord du gouffre. Ce sentiment d'instabilité se manifeste tout particulièrement dans le deuxième acte, au cours duquel deux couples, Alcina et Ruggiero d'un côté, ainsi que Morgana et Bradamante déguisée en homme de l'autre, doivent tirer au clair la nature de leurs relations. Dans Così fan tutte, ce fil rouge est tissé tout au long de l'opéra : les sentiments sont constamment remis en question - soit par surprise lorsque le sentiment est nouveau, soit par peur de tomber véritablement amoureux et donc par crainte d'en souffrir. Je suis à chaque fois étonné de constater à quel point Haendel devait avoir de l'empathie et de la compréhension à l'égard des femmes. Difficile de l'imaginer bienveillant quand on voit les portraits qui le représentent en tant que grand gaillard replet ou si l'on en croit les allégations de directeur de théâtre colérique qui couraient sur lui. Certes, nous ne possédons que peu d'informations sur la vie privée de Haendel, mais je suis persuadé qu'il était un excellent observateur et qu'il a su faire preuve d'introspection.

 

La production d'Alcina a été marquée par la rivalité acharnée entre le Covent Garden et l'Opéra de la Noblesse. Cependant, Haendel n'a pas cédé à la pression et à la facilité de composer des morceaux de bravoure servant uniquement à produire de l'effet. Ses personnages mettent au premier plan la représentation sincère des émotions.

Haendel savait exactement ce qu'il voulait exprimer. Prenons l'exemple du personnage d'Alcina : chacun de ses six airs possède un caractère tout particulier ; dans le même temps, l'ensemble des morceaux contribue à construire un portrait finement ciselé de la reine. Cette manière de représenter les personnages se distingue complètement de celle des époques plus récentes. Chez Wagner, par exemple, les personnages peuvent être réduits à un seul leitmotiv. Dans Aida de Verdi, le personnage principal est dépeint entièrement par le jeu d'orchestre. Cela peut paraître paradoxal... pourtant, en dépit du principe des airs da capo et malgré le fait que chaque air possède son propre caractère, la représentation des personnages est extrêmement réaliste. Je suis moi-même persuadé qu'un être humain possède des traits de caractère contradictoires.

 

Il en va de même pour Morgana, la sœur d'Alcina. Sa personnalité se construit au fil de la série kaléidoscopique des airs qu'elle chante...

Combien de contrastes sont inscrits dans ce personnage ! Dans le premier acte, Morgana exprime le plaisir et la joie de vivre. Son air « Torna mi a vagheggiar » est sans doute l'un des morceaux phares de cet opéra, et je gage que peu de spectateurs pourront s'empêcher de fredonner cette mélodie pendant l'entracte. L'air « Ama, sospira » du deuxième acte me fait penser à quelqu'un en train d'avancer précautionneusement et craintivement sur un lac gelé, à petits pas, de peur de briser la glace et de sombrer dans l'eau glacée d'un instant à l'autre. Ce procédé permet de sonder prudemment la situation : où est-ce que je me situe ? Où se situent les autres ? Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Plus tard, lors de l'air « Credete al mio dolore » du troisième acte, Morgana paraît terriblement dépressive. Heureusement, elle ne garde pas ses tourments pour elle et lance un cri de détresse, tandis qu'Alcina finira complètement seule et repliée sur elle-même.

 

La phrase « Ed al fin trionfa amor » (Et l'amour triomphe enfin) dans le refrain final résonne de façon cynique dans ce contexte.

Le dieu Amour a toujours été cruel, c'est bien connu. En d'autres termes, tout ce que nous avons pu voir s'est produit à cause de lui...

 

En ce qui concerne la durée, les opéras de Haendel se distinguent peu de ceux de Verdi – Don Carlo, par exemple – ou de Wagner. Lors d'une mise en scène, on est presque toujours obligé de supprimer des passages. Quel a été votre choix ?

Au fond de moi, j'adore quand le public arrive à consacrer quatre ou cinq heures à une soirée d'opéra. Je continue de penser que nous devrions retourner à des représentations intégrales. A Zurich nous avions opté pour une version sans musique de ballet. Ce choix est tout à fait légitime puisque Haendel n'a inséré ces passages que très tardivement, et qu'il les a supprimés lors de la reprise au programme de l'opéra. Nous avons également renoncé au personnage d'Oberto et à la scène du lion que Haendel avait ajoutée peu avant la première pour faire impression sur le public. Nous avons ainsi interprété la version originale, abrégée de deux airs. S'il s'était agi de Boris Godounov, on aurait probablement parlé de version originale...

 

Toujours est-il que vous ne vouliez pas renoncer à la danse...

En aucun cas. Haendel a eu la belle idée de souligner l'exubérance du monde d'Alcina par le ballet. J'ai décidé d'utiliser à cet effet une partie de l'ouverture qui contient des mouvements de danse, afin d'introduire le spectateur au monde séducteur d'Alcina. Il était clair pour moi qu'il fallait reprendre cet aspect dans la suite de l'action, d'en faire une partie intégrante.

 

Aurait-il été imaginable, pour vous, de renoncer à la reprise da capo prétendue redondante des airs ?

Certainement pas. Quand j'écoute de vieux enregistrements qui recourent encore à cette forme, cela m'irrite profondément et me laisse un goût amer. J'associerais cette pratique plutôt à des airs du belcanto - une partie plus lente, une cabalette... La répétition est très importante à mes yeux : dans le cas d'Alcina, la répétition est en effet surprenante dans presque tous les airs. Cela réside entre autres dans le fait que la partie centrale de l'air est souvent très courte ou que des thèmes musicaux présentés dans la partie A sont repris dans la partie B, ce qui est tout à fait inhabituel. De toute façon, Haendel est extrêmement moderne en ce qui concerne ces aspects de composition ; il serait et inutile d'essayer de le rendre encore plus moderne.

 

Quelles sont les conséquences de la forme da capo pour la mise en scène ?

La tâche était évidemment de taille, et les défis nombreux à relever. Mais je me sentais aussi beaucoup plus motivé à cet égard que je ne l'aurais été avec d'autres œuvres, par exemple, de l'époque du vérisme où tout est prédéfini et où l'on doit plutôt faire attention à éviter les doublons. Avec la structure da capo, on est poussé à inventer une action extériorisée ou intériorisée, et il faut toujours prendre position. Souvent, il s'agira d'une intensification ou d'une déformation de ce qui s'est produit dans la partie A. Quelques-fois, c'est de l'action pure ; d'autres fois, c'est un élément très intimiste qui relègue l'action au second plan.

 

 Entretien réalisé par Kathrin Brunner, 2014
Traduit de l'allemand par Magali Pès

Quelques mots avec Philippe Jaroussky

Philippe Jaroussky

Quelques mots sur l’Opéra de Monte-Carlo…

Jusqu’à présent, j’y ai seulement chanté un concert. Je suis très impatient de retourner dans ce magnifique théâtre ! De plus, je suis fier et touché que Cecilia Bartoli ait fait appel à moi pour chanter à ses côtés lors de la première saison de son mandat à Monte-Carlo.

 

Un conseil pour sa nouvelle directrice?

Cecilia a acquis une énorme expérience et de nombreux succès à Salzbourg, ce qui la rend apte à occuper ce poste. Mon souhait personnel est qu’elle prenne soin des voix, et qu’elle soit attentive aux jeunes chanteurs. C’est absolument fondamental, et si difficile aujourd’hui, où peu de gens sont prêts à leur donner une chance. J’ai été invité à chanter Nerone dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi à l’âge de 21 ans. C’était loin d’être parfait mais j’ai tant appris en me trouvant sur scène dans un rôle impor- tant aux côtés de collègues expérimentés !

 

Les opéras de Haendel et Alcina

J’adore chanter Alcina avec Cecilia, ne serait- ce que pour me tenir dans les coulisses et l’écouter dans son rôle emblématique. Je pense que c’est peut-être la septième fois ! En fait il y a peu de rôles principaux qui conviennent à ma tessiture vocale et à ma personnalité. Deux chez Haendel me correspondent : Sesto dans Giulio Cesare et Ruggiero dans Alcina. Ruggiero a un côté rageur bien connu et un autre proche d’Orphée, qui transparaît dans les célèbres arias « Mi lusinga il dolce affetto » et « Verdi prati ». Il est cependant difficile de rendre Ruggiero sympathique, et je travaille dur afin de faire ressortir les raisons pour lesquelles c’est le seul homme qu’Alcina ait jamais vraiment aimé.
Pour l’avenir, mon intérêt se porte sur de nouveaux domaines – la musique contemporaine et la direction d’orchestre, entre autres – et je commence à envisager d’abandonner mes rôles dans l’opéra baroque. Peut-être Alcina signera-t-il une sorte de bel adieu, nous verrons…

 

Qu’y a-t-il de particulier dans cette production de Christof Loy?

Elle est incroyablement belle, intelligente et émouvante. Dans la lecture de Christof Loy, Alcina semble bloquée dans son propre monde, alors que ceux qui l’entourent subissent tous des changements. Il utilise une machinerie baroque pour passer d’une production théâtrale somptueuse à un décor de la fin du XVIIIe siècle dans le style de Così fan tutte, où se déploient des relations personnelles enchevêtrées, avant que tout implose dans le vide. Le troisième acte contient un défi particulier pour moi. En fait, je pense que là je devrais filer à la salle de sport pour me préparer !

L’Arioste, Haendel et l’art de l’illusion amoureuse

Après Orlando et Ariodante, Alcina conclut la trilogie de l’Arioste en prenant pour source un nouvel épisode de son Roland furieux, les chants 6 et 7, mis en musique pour la première fois par la compositrice Francesca Caccini à Florence en 1625, sous le titre La liberazione di Ruggiero dell’isola d’Alcina. A priori, l’épisode retenu par Haendel est aussi éloigné que possible de celui d’Ariodante : Alcina nous fait plonger dans l’atmosphère enchanteresse de l’île d’une magicienne qui attire les hommes pour mieux les transformer en «pierres, arbres et bêtes sauvages» selon l’argument d’époque. Haendel l’avait probablement découvert lors de son dernier séjour en Italie, à Parme en 1729, sous le titre Bradamante nell’isola d’Alcina. L’intrigue est célèbre, et connaîtra autant de titres que de vies : Alcina delusa da Ruggiero pour Albinoni en 1725, devenu Gli avvenimenti di Ruggiero d’Alcina en 1732. Mais c’est le livret d’Antonio Fanzaglia qu’il choisit d’adapter, L’isola d’Alcina, écrit pour Riccardo Broschi, le frère de Farinelli, avec qui Haendel refusera toujours de travailler. L’histoire ne dit pas s’il s’agissait d’une énième défiance à la star des castrats qui sévissait alors sur la scène concurrente de Haymarket, mais rien n’est à exclure. Toujours est-il que depuis Ezio, son geste était sûr comme librettiste tacite de ses propres œuvres : il n’apportera que quelques altérations à l’original, réduira drastiquement les récitatifs comme à son habitude, conservant une proportion exceptionnellement grande des airs écrits pour la version originale de Broschi (24 sur 34). Changements à vue, palais enchanté, jardin enchanteur, hommes devenus rochers, tout est spectacle. Nul doute que l’atmosphère féerique d’Alcina l’ait rendue plus immédiatement séduisante que les amours en chambre d’Ariodante. Son classicisme de bon aloi, répartissant à peu près le même nombre d’airs entres les trois rôles principaux (Alcina, Ruggiero et Morgana) et s’éloignant des ressorts de l’esthétique baroque pour une intrigue marquant les débuts de la psychologie à l’opéra, n’est sans doute pas pour rien non plus dans le succès que l’œuvre a connu au XXe siècle. La dimension magique de l’Arioste infuse toute la partition à travers un opéra-ballet mêlant tous les arts (c’était une des spécificités de Covent Garden que de disposer d’un ballet, celui de la française Marie Sallé), même si l’artifice n’est ici que le reflet des pouvoirs illusoires d’une magicienne esclave de l’amour. Si Alcina est la plus majestueuse des sorcières haendéliennes, elle est aussi sa plus grande tragédienne. Comme le notait Jean Starobinski dans Les Enchanteresses, «le plaisir aime à se mirer dans sa propre représentation» et le spectacle des illusions finira par consumer l’amour véritable d’une femme vulnérable à son pouvoir et à ses charmes. De ce point de vue, Alcina est bien le jumeau féminin d’Ariodante, deux formes opposées pour une même introspection sentimentale.

 

Luc Hernandez

Alcina, le contexte historique

Création : 16 avril 1735. Londres, Royal Theatre, Covent Garden. Partition achevée le 8 avril 1735, au beau milieu des cinq représentations d’Athalia. La première répétition générale eut lieu cinq jours avant la première, chez Haendel à Brook Street, en présence de Mary Pendarves. Nouveaux décors pour la création. Livret de Haendel, d’après L’isola d’Alcina d’Antonio Fansaglia et le Roland furieux de l’Arioste.

18 représentations la première saison, puis deux brèves reprises le 6 novembre 1735 pour 3 représentations (sans Carestini ni Cecilia Young et avec d’autres changements de distribution).

Représentation à Brunswick en février 1738 dans un arrangement probablement signé G. C. Schürmann, avant une éclipse de deux siècles. Haendel reprit «Semplicetto» dans son pasticcio Jupiter in Argos en 1739 et «Mi Lusinga» dans sa reprise de Semele le 1er décembre 1744.

22 représentations en tout du vivant de Haendel.

 

Distribution d’époque

Alcina : Anna Strada del Pò. Morgana : Cecilia Young, soprano. Ruggiero : Giovanni Carestini, castrato. Bradamante : Maria Caterina Negri, contralto. Oronte : John Beard, ténor. Melisso : Gustav Waltz, basse. Oberto : Mr William Savage, soprano-garçon.

Personnages

Alcina, magicienne amoureuse de Ruggiero
Ruggiero, chevalier, fiancé à Alcina
Bradamante, promise de Ruggiero ayant pris les atours de son frère Ricciardo
Morgana, sœur d’Alcina
Oronte, général d’Alcina
Melisso, le gouverneur de Bradamante
Oberto, jeune homme à la recherche de son père Astolfo disparu sur l’île d’Alcina

Première représentation moderne à Leipzig en 1928. Résurrection véritable à Londres en 1957 grâce à la production de la Handel Opera Society, avec Joan Sutherland dans le rôle-titre. La «Stupenda» contribua largement à la notoriété de l’œuvre en la chantant à Cologne, Venise, Dallas et New York notamment dans une production de Franco Zeffirelli. Ce sera l’opéra de Haendel le plus souvent monté au XXe siècle après Giulio Cesare.

Contexte historique

En pleine fièvre créatrice, Haendel était déjà en train de composer Alcina pendant les répétitions de son précédent opéra, Ariodante, en 1734. Malheureusement, les possibilités enthousiasmantes du nouveau plateau de Covent Garden – lui qui avait créé l’essentiel de ses opéras londoniens au Haymarket King’s Theatre – n’avaient pas suffi à endiguer l’échec public de ses dernières œuvres. L’ombre de l’oratorio – de plus en plus prisé des Anglais – et le spectre de la faillite continuaient d’assombrir son obsession pour l’opera seria (il en composera 39 !). Le succès immédiat d’Alcina va lui apporter un dernier répit : il sera le seul opéra à dépasser les 13 représentations après Admeto, son opéra le plus populaire depuis 1727. Le regain du public va se doubler d’une réception critique dithyrambique. Même Mrs Pendraves, pourtant peu avare de compliments pour son compositeur chéri, n’aura pas de mots assez forts au sortir de chez Haendel à Book Street le soir de la générale offerte aux happy few quelques jours avant la première : «Je pense que c’est le meilleur qu’il ait jamais fait. Strada a une scène entière d’un récitatif plein de charme, il n’y a que des merveilles ! Tandis que Mr Haendel jouait sa partition, je ne pouvais m’empêcher de le voir comme un nécromancien au milieu de ses propres enchantements.»

(Mrs Pendraves à sa mère, Mary Granville, le 12 avril 1735)

Le dernier succès de Haendel à l’opéra

Le bouche à oreille fait rapidement le tour de la ville et le jour de la première, le London Daily ne se prive pas d’entretenir la flamme, annonçant que «le nouvel opéra surpassera tout ce qu’on a pu entendre de M. Haendel jusqu’ici» (le 16 avril). Mais le dernier succès de Haendel à l’opéra ne sera qu’un trompe-l’œil : aucun des problèmes structurels inhérents à la production n’étaient réglés, malgré la bonne volonté de John Rich à la tête de l’Opéra royal de Covent Garden, pas plus que les sempiternels caprices des chanteurs… Carestini refusera de chanter «Verdi prati», un des rondos qui deviendra un des grands tubes de l’opéra, le trouvant trop simple pour lui, et finira par repartir pour l’Italie de façon anticipée le 6 juillet 1735, après la dernière d’Alcina, «las de chanter devant des salles vides». Comme à son habitude, Haendel n’aura rien cédé de son autorité face aux chanteurs et Charles Burney rapporte même la légende selon laquelle il serait allé jusque chez Carestini pour l’admonester : «Est-ce que je ne sais pas mieux que vous ce qu’il vaut mieux que vous chantiez ? Si vous ne chantiez pas tous les airs que je vous donne, je ne vous paierai pas un sou !» La mélodie simple aura conquis le public, et le même Burney rapporte aussi que l’air «fut constamment bissé durant les représentations». Mais les temps avaient changé : si autrefois les castrats acceptaient de rester pour la gloire, les salles s’étant clairsemées, le succès d’un titre isolé ne suffisait plus à surmonter leur vexation. Ce sera le dernier opéra de Carestini pour Haendel, même s’il reviendra à Londres en 1739, au Haymarket.

Le ballet de Covent Garden et la disgrâce de Marie Sallé

En arrivant sur la scène de Covent Garden (après avoir créé l’essentiel de ses opéras au Haymarket King’s Theatre), Haendel avait bénéficié pour la première fois d’un chœur. Il l’utilisera avec la dernière parcimonie, restant fidèle au modèle serio italien, dans laquelle ce sont les solistes qui forment un petit ensemble pour le lieto fine, conclusion joyeuse de tout opéra. Il intégrera en revanche dès Ariodante le ballet mis à sa disposition par John Rich, le directeur du théâtre qui se trouvait être aussi un ancien danseur. C’est la Française Marie Sallé – une des grandes attractions de la scène londonienne – qui en avait la charge. Attestant de l’audace et de la dimension licencieuse d’Alcina pour les spectateurs de son temps, elle allait avoir une idée des plus osées qui finit par lui être fatale : danser elle-même le rôle de Cupidon «en habit d’homme», comme le relate l’abbé Prévost de passage à Londres dans son journal Le Pour et le Contre. Ce travestissement des genres dans une tenue des plus légères «fut apparemment la cause de sa disgrâce» note l’écrivain. Sifflée pendant les représentations, elle finira par devoir quitter Londres et ses fonctions devant l’étendue du scandale. En guise de revanche, elle participera quelques semaines plus tard à la création des Indes galantes de Rameau à Paris le 28 août 1735.

Plus de castrat ni de ballet, malgré les nouveaux décors engagés pour la production par John Rich, Haendel se retrouvera à l’issue des représentations d’Alcina dans la plus grande fragilité artistique. Dernier opéra magique à refermer le cycle londonien, Alcina est bien un théâtre d’illusions, au propre comme au figuré, ultime succès pour les derniers feux de l’alchimiste de l’opéra italien émigré.

 

Luc Hernandez

Roland furieux, extrait

L’Arioste
Roland furieux (1516)

Chant VI (extrait)

 

«Et comme si le destin cruel et trompeur nous eût poussés sur ce chemin, nous arrivâmes un matin sur une belle plage où s’élève, sur le bord de la mer, un château appartenant à la puissante Alcine. Nous la trouvâmes sortie de son château, et qui se tenait sur le rivage, attirant sur le bord, sans filets et sans amorce, tous les poissons qu’elle voulait.

«Les dauphins rapides y accouraient, et les thons énormes à la bouche ouverte ; les baleines et les veaux marins, troublés dans leur lourd sommeil ; les mulets, les salpes, les saumons et les barbues nageaient en troupes le plus vite qu’ils pouvaient. Les physétères, les orques et les baleines montraient hors de la mer leurs monstrueuses échines.

«Nous aperçûmes une baleine, la plus grande qui se soit jamais vue sur toutes les mers. Onze pas et plus émergeaient hors des ondes ses larges épaules. Et nous tombâmes tous dans une grande erreur ; car, comme elle se tenait immobile et sans jamais bouger, nous la prîmes pour une petite île, tellement ses deux extrémités étaient distantes l’une de l’autre.

«Alcine faisait sortir les poissons de l’eau avec de simples paroles et de simples enchantements. Avec la fée Morgane elle reçut le jour ; mais je ne saurais dire si ce fut dans la même couche ou avant, ou après. Alcine me regarda, et soudain mon aspect lui plut, comme elle le montra sur son visage. Et il lui vint à la pensée de m’enlever, par astuce et artifice, à mes compagnons. Son dessein réussit.

«Elle vint à notre rencontre l’air souriant, avec des gestes gracieux et prévenants, et dit : « Chevaliers, qu’il vous plaise de prendre aujourd’hui vos logements chez moi. Je vous ferai voir, dans ma pêche, toutes sortes de poissons différents, les uns recouverts d’écailles, les autres lisses, et d’autres tout poilus, et tous plus nombreux qu’il n’y a d’étoiles au ciel.

«Et si nous voulons voir une sirène qui apaise la mer par son doux chant, passons d’ici sur cette autre plage, où, à cette heure, elle a toujours coutume de retourner.» Et elle nous montra cette grande baleine qui, comme je l’ai dit, paraissait être une île. Moi, qui fus toujours trop entreprenant — et je m’en repens — j’allai sur ce poisson.

«Renaud me faisait signe, ainsi que Dudon, de ne pas y aller, mais cela servit peu. La fée Alcine, avec un visage riant, laissa les deux autres et s’élança derrière moi. La baleine, à lui obéir diligente, s’en alla, nageant à travers l’onde salée. Je ne tardai pas à me repentir de ma sottise, mais je me trouvais trop éloigné du rivage.

«Renaud se jeta à la nage pour m’aider et faillit être englouti, car un furieux vent du sud s’éleva, qui couvrit d’une ombre épaisse le ciel et la mer. J’ignore ce qui lui est ensuite arrivé. Alcine s’efforçait de me rassurer, et pendant tout ce jour et la nuit suivante elle me tint sur ce monstre au milieu de la mer,

«Jusqu’à ce que nous arrivâmes à cette belle île, dont Alcine possède une grande partie. Elle l’a usurpée sur une de ses sœurs, à qui leur père l’avait entièrement laissée en héritage parce qu’elle était sa seule enfant légitime. Les deux autres, à ce que m’a dit depuis quelqu’un qui en était pleinement instruit, sont nées d’un inceste. 

«Et de même qu’elles sont iniques et pleines de scélératesse et de vices infâmes, leur sœur, qui vit chaste, a dans son cœur toutes les vertus. Les deux autres se sont liguées contre elle, et déjà plus d’une fois elles ont levé une armée pour la chasser de l’île, et lui ont, à diverses reprises, enlevé plus de cent châteaux.

«Et celle-ci, qui s’appelle Logistilla, ne posséderait plus un pan de terre, si elle n’avait pour frontières, d’un côté un golfe, de l’autre une montagne inhabitée, de même que l’Écosse et l’Angleterre sont séparées par une montagne et une rivière. Cependant ni Alcine ni Morgane n’abandonnent l’espérance de lui enlever ce qui lui reste.

«Ce digne couple étant pétri de vices, la hait précisément parce qu’elle est chaste et sage. Mais, pour revenir à ce que je te disais, et t’apprendre comment, par la suite, je devins une plante, sache qu’Alcine me retenait dans de grandes délices, et brûlait tout entière d’amour pour moi. D’une flamme non moindre, j’avais le cœur embrasé en la voyant si belle et si avenante.

«Je jouissais de son corps si délicat. Il me semblait que là étaient rassemblés tous les biens qui sont d’ordinaire répartis aux mortels, à ceux-ci plus, à ceux-là moins, et pas du tout à beaucoup. De la France ni du reste, je n’avais plus souvenance. Sans cesse occupé à contempler ce beau visage, toutes mes pensées, tous mes désirs se concentraient en elle et ne voyaient pas au-delà.

«J’étais d’ailleurs tendrement aimé d’elle. Alcine ne prenait plus garde à personne, et avait abandonné tous les autres amants pour lesquels, avant moi, d’autres avaient été de même laissés. J’étais son conseiller, et nuit et jour elle m’avait à son côté. Elle m’avait donné plein pouvoir de commander aux autres ; elle ne croyait qu’à moi, ne s’en rapportait qu’à moi, et, de nuit comme de jour, ne parlait jamais qu’à moi.

 

Traduction par Francisque Reynard
Alphonse Lemerre, 1880 (Tome I)