Verdi Don Carlo
vendredi 24 novembre 2023 - 20 h
dimanche 26 novembre 2023 - 15 h
Grand opéra en cinq actes
Musique de Giuseppe Verdi (1813-1901)
Livret de Camille Du Locle et Joseph Méry, d’après le poème tragique Don Carlos, Infant von Spanien (1787) de Friedrich von Schiller
Création : Académie impériale de musique, Paris, 11 mars 1867
Création 2e version révisée, en italien et en quatre actes : Teatro alla Scala, Milan, 10 janvier 1884
Nouvelle production
Le Paris du XIXe siècle est un véritable aimant pour les compositeurs étrangers en quête d’un sacre. Or, depuis la chute des Orléans, la bourgeoisie d’affaire triomphe et ses goûts se portent vers un type d’opéra aux conventions rigides et au ballet obligatoire, mis en place par Giacomo Meyerbeer. En 1867, Giuseppe Verdi, quelque peu échaudé par ses précédentes expériences parisiennes, a une revanche à prendre et va mettre toutes ses forces dans la composition de Don Carlos. Il en résulte une fresque au souffle impressionnant, riche de personnages forts et à la psychologie fouillée. Sa partition, parmi les plus belles qu’il ait composées, illustre un texte profond où les luttes entre la religion et le pouvoir politique, entre le sentiment amoureux et le devoir, entre l’amitié et la raison d’État sont décrites avec une justesse remarquable. Lors des différentes adaptations en italien, Verdi finira par condenser son ouvrage en 4 actes afin d’en conserver toute la tension dramatique. C’est sous cette forme que nous l’entendrons à Monte-Carlo, servi par une distribution superlative, dirigée par un des grands noms de la mise en scène : Davide Livermore.
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO
MAÎTRES D’ŒUVRE
Direction musicale
Massimo Zanetti
Mise en scène
Davide Livermore
Assistant à la mise en scène
Diego Mingolla
Décors
Giò Forma
Costumes
Sofia TASMAGAMBETOVA
Lumières
Antonio CASTRO
Vidéos
D-Wok
Chef de chant
Andrea DEL BIANCO
Chef de chœur
Stefano Visconti
SOLISTES
Philippe II, roi d'Espagne
Ildar Abdrazakov
Don Carlo, infant d'Espagne
Sergey Skorokhodov
Rodrigue, marquis de Posa
Artur Rucinski
Le Grand Inquisiteur
Alexey Tikhomirov
Elisabeth de Valois
Joyce El-Khoury
La Princesse Eboli
Varduhi Abrahamyan
Le Comte de Lerme
Reinaldo Macias
Une voix céleste
Madison Nonoa
Un Moine
Giorgi Manoshvili
Thibault, page d'Elisabeth
Mirjam Mesak
La Comtesse d'Aremberg
Sophie Boursier
Un héraut royal
Vincenzo di Nocera
FIGURATION
Soldats
Olivier ARDAIN
Olivier FAZIO
Guillaume FUNEL
Guillaume GALLO MANRIQUE
Alain LOUIS-JACQUET
Nicolas LEROY
Benjamin LE DUFF
Paul NGO SI XUYEN
Dmitri TSOURIKOV
Artem USTINOV
Miliciens
Moa FERREIRA
Arnaud JOUAN
Thierry SALERNO
Daniel SZUTS
Nicolas VITALE
Hérétiques
Didier DUPUIS
Nicolas HOUSSIN
Hugo LAMBERET
Bastien LEBLANC
Vincent VAN HEGHE
Nicolo BONAVITA
Flagellants
Heathcliff BONNET
Adrian CEROU
Yan FOURRIER
Kevin PASTORE
Paul Vincent SISOWATH
Anthony YAMMINE
Danseurs
Julia ZOLYNSKI
Gleb LYAMENKOV
CHŒUR DE L’OPÉRA DE MONTE-CARLO
Chef de chœur
Stefano Visconti
Consultant pour l’organisation musicale & assistant chef de chœur
Aurelio Scotto
Régisseuse du chœur & bibliothécaire
Colette Audat
Sopranos I
Galia BAKALOV
Antonella CESARIO
Chiara IAIA
MARIKO IIZUKA*
Giovanna MINNITI
MARNIE MIGLIORE*
Felicity MURPHY
BIAGIA PUCCIO*
ERICA RONDINI*
ILENIA TOSATTO*
Paola VIARA-VALLE
YUE WU*
Sopranos II
DAMIANA AVOGADRO*
Rossella ANTONACCI
ELISABETTA DAMBRUOSO*
Valérie MARRET
Letizia PIANIGIANI
Laura Maria ROMO CONTRERAS
VITTORIA GIACOBAZZI
VITTORIA VITALI*
Mezzo-sopranos
FRANCESCA BARGELLINI*
CECILIA BERNINI*
Teresa BRAMWELL-DAVIES
TINA CHIKVINIDZE*
FRANCESCA COPERTINO*
MATILDE LAZZARONI*
Géraldine MELAC
Suma MELLANO
Federica SPATOLA
VIKTORIIA TKACHUK*
Altos
ORNELLA CORVI
Maria-Elisabetta DE GIORGI
CHIARA LA PORTA*
CARLA MATTIOLI*
TANIA PACILIO*
Catia PIZZI
JANETA SAPOUNDJIEVA*
Paola SCALTRITI
LEONORA SOFIA*
Rosa TORTORA
Ténors I
Walter BARBARIA
Lorenzo CALTAGIRONE
Domenico CAPPUCCIO
ANDREA CIVETTA*
Vincenzo DI NOCERA
Thierry DIMEO
Nicolo LA FARCIOLA
MANFREDO MENEGHETTI*
JAIME ANDRES CANTO NAVARRO*
MICHELE PINTO*
DAVIDE URBANI*
Ténors II
HALIL UFUK ASLAN*
ARTURO ALBERTO CAPRARO*
Gianni COSSU
Pasquale FERRARO
BENOIT GUNALONS*
Fabio MARZI
EDER SANDOVAL GUEVARA*
Adolfo SCOTTO DI LUZIO
Salvatore TAIELLO
Barytons
Jorge Abarza Sutter*
JEAN-FRANCOIS BARON*
GABRIELE BARRIA*
Nicolo Bartoli*
Fabio BONAVITA
Giulio Ceccarelli*
HYUNMO CHO*
Vincenzo CRISTOFOLI
Daniele di Nunzio*
Daniele DEL BUE
Leandro GAUNA*
ROSARIO GRAUSO*
DEVIS LONGO*
Armando Napoletano*
KYLE PATRICK SULLIVAN*
Luca VIANELLO
Basses
Andrea ALBERTOLLI
STEFANO ARNAUDO*
Przemyslaw BARANEK
Eugenij Bogdanowicz*
Piersilvio DE SANTIS*
LUCIO DI GIOVANNI*
THOMAS EPSTEIN*
HUGUES GEORGES*
Paolo MARCHINI
MAX MEDERO*
Giuseppe OLIVERI*
FILIPPO QUARTI*
Edgardo RINALDI
Giacomo SELICATO*
Matthew THISTLETON
GIUSEPPE ZEMA*
*choristes supplémentaires pour les représentations de Don Carlo
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO
Directeur artistique et musical
KAZUKI YAMADA
Premiers violons
David Lefèvre
Liza Kerob
Sibylle Duchesne
Ilyoung Chae
Diana Mykhalevych
Gabriel Milito
Sorin Turc
Mitchell Huang
Thierry Bautz
Zhang Zhang
Isabelle Josso
Morgan Bodinaud
Milena Legourska
Jae-Eun Lee
Adela Urcan
NN
Seconds violons
Peter Szüts
Nicolas Delclaud
Camille Ameriguian-Musco
Frédéric Gheorghiu
Nicolas Slusznis
Alexandre Guerchovitch
Gian Battista Ermacora
Laetitia Abraham
Katalin Szüts-Lukacs
Eric Thoreux
Raluca Hood-Marinescu
Andriy Ostapchuk
Sofija Radic
Hubert Touzery
Altos
François Méreaux
Federico Andres Hood
François Duchesne
Charles Lockie
Richard Chauvel
Mireille Wojciechowski
Sofia Timofeeva
Tristan Dely
Raphaël Chazal
Ying Xiong
Thomas Bouzy
Ruggero Mastrolorenzi
Violoncelles
Thierry Amadi
Delphine Perrone
Alexandre Fougeroux
Florence Riquet
Bruno Posadas
Thomas Ducloy
Patrick Bautz
Florence Leblond
Thibault Leroy
Caroline Roeland
Contrebasses
Matthias Bensmana
Tarik Bahous
Mariana Vouytcheva
Jenny Boulanger
Sylvain Rastoul
Eric Chapelle
Dorian Marcel
NN
Flûtes
ANNE MAUGUE
RAPHAËLLE TRUCHOT BARRAYA
DELPHINE HUEBER
Piccolo
MALCY GOUGET
Hautbois
MATTHIEU BLOCH
MATTHIEU PETITJEAN
MARTIN LEFÈVRE
Cor anglais
Mathilde Rampelberg
Clarinettes
MARIE-B. BARRIÈRE-BILOTE
nn
Petite clarinette
DIANA SAMPAIO
Clarinette basse
Véronique Audard
Bassons
FRANCK LAVOGEZ
ARTHUR MENRATH
MICHEL MUGOT
Contrebasson
FRÉDÉRIC CHASLINE
Cors
PATRICK PEIGNIER
ANDREA CESARI
DIDIER FAVRE
BERTRAND RAQUET
LAURENT BETH
DAVID PAUVERT
Trompettes
MATTHIAS PERSSON
GÉRALD ROLLAND
SAMUEL TUPIN
RÉMY LABARTHE
Trombones
JEAN-YVES MONIER
GILLES GONNEAU
LUDOVIC MILHIET
Tuba
FLORIAN WIELGOSIK
Timbales & Percussions
Julien Bourgeois
Mathieu Draux
Antoine Lardeau
Noé Ferro
Harpe
SOPHIA STECKELER
PERSONNEL DE SCENE
Directeur de scène
Xavier Laforge
Régisseur principal
Nathalie Bruno
Régisseur de scène
Elisabetta Acella
Régisseur lumières
Ferxel Fourgon
Assistante régisseur lumières
Léa Smith
Régisseur sur-titrage
Sarah Caussé
TECHNIQUE
Directeur technique
Vincent Payen
Responsable du bureau d’études
Nicola Schmid
Chef machiniste
Carlos Grenier
Olivier Kinoo
Sous-chefs machinistes
Yann Moreau
Franck Satizelle
Peintre décorateur
Gérard Périchon
Techniciens de plateau
Francomarah Augustin
Laurent Barcelo
Tom Cressi
Morgan Dubouil
Jean-Philippe Faraut
Axel Gbedo
Schama Imbert
Frédéric Laugier
David M’Bappé
Khalid Negraoui
Chef électricien
Benoît Vigan
Chef électricien adjoint
Dino Bastieri
GAEL LE MAUX
Techniciens lumière
Nicolas ALCARAZ
Harley BASILE
Guillaume BREMOND
Grégory CAMPANELLA
Florian CAPELLO
Ludovic DRUIT
Laurent RENAUX
Pupitreurs
Dylan Castori
Grégory Masse
Responsable audio/vidéo
Benjamin Grunler
Technicien vidéo
Felipe Manrique
Chef accessoiriste
Audrey Moravec
Accessoiristes
Franck ESCOBAR
Roland BIREN
Landry BASILE
Emilie TRABONA
Chef costumière-habilleuse
Eliane Mezzanotte
Chef costumière-habilleuse adjointe
Emilie Bouneau
Sous-chef costumière-habilleuse adjointe
Edwige Galli
Véronique Tetu
Habilleurs
Roxane AVELLO
Justine BORDARIER
Christian CALVIERA
Carla CAPUANO
Laure CHABOT
Nadine CIMBOLINI
Henda DRIDI
Lili FORTIN
Anaïs GILLOUX
Karinne MARTIN
Florence RINALDINO
Lauriane SENET
Mathieu TARKOWSKI
Anne-Louise VAIDIE
Chef perruquière-maquilleuse
Déborah Nelson
Chef perruquière-maquilleuse adjointe
Alicia Bovis
Perruquiers
Mylène AUGET
Jean-Pierre GALLINA
Christine OTASSO
Marilyn RIEUL
Natasha SANNA
Maquilleurs
Margot JOURDAN
Sophie KILIAN
Agnès LOZANO
Rémy REBAUDO
Francine RICHARD
Patricia ROCHWERG
Billetterie
Responsable billetterie
Virginie Hautot
Responsable adjointe billetterie
Jenna Brethenoux
Service billetterie
Ambre Gaillard
Dima Khabout
Assmaa Moussalli
La version de 1884, donnée ce soir, ne comprend que quatre actes, tous situés en Espagne. Nous ne résumons l’acte préliminaire de la version originale en français, qui se déroule à Fontainebleau, que dans le souci d’éclairer le drame qui suit.
Acte de Fontainebleau
Dans la forêt de Fontainebleau, l’infant d’Espagne Don Carlos observe incognito l’épouse qu’on lui a désignée, Élisabeth de Valois, fille du roi de France Henri II et de Catherine de Médicis, et tombe amoureux d’elle. Se faisant passer pour un gentilhomme espagnol envoyé par l’infant, il aborde la jeune fille et lui parle de son fiancé, avant de révéler son identité. Les jeunes gens s’avouent leur amour lorsque survient le page Thibault : il vient annoncer qu’Henri II a finalement offert la main de sa fille au père de Carlos, le roi Philippe II. Cette union garantira la paix entre l’Espagne et la France. Élisabeth accepte le mariage d’une voix mourante.
Acte I
Premier tableau
Carlos va chercher l’oubli et le réconfort dans le cloître du couvent de Saint-Just. Il tressaille en entendant la voix du Moine, dans laquelle il croît reconnaître celle de son grand-père, l’empereur Charles-Quint (coro ed aria du Moine «Carlo il sommo imperator»). Il est rejoint par son ami Rodrigue, marquis de Posa, venu lui faire le récit des maux endurés par le peuple des Flandres. Carlos lui avoue le mal secret qui le ronge : il aime l’épouse de son père. Posa lui conseille de vaincre cette souffrance en combattant auprès de lui pour la liberté. Les deux amis se jurent fidélité jusqu’à la mort (scena e duetto «Dio, che nell’alma infondere amore»).
Second tableau
Près du couvent de Saint-Just, la princesse Eboli divertit les dames d’honneur avec la Chanson du voile (Canzona del velo «Nel giardin del bello»). Entre Élisabeth, suivie de Posa, qui lui remet un billet de Don Carlos. Posa prie la reine d’accorder un rendez-vous à l’infant, tandis qu’Eboli avoue en aparté son amour pour lui (scena, terzettino dialogato e romanza di Rodrigo «Carlo ch’è sol»). Le tête-à-tête a lieu (gran scena e duetto «Io vengo a domandar»). Submergé par l’émotion, Carlos s’évanouit. Lorsqu’il lui avoue sa flamme, Élisabeth le repousse avec effroi. Carlos sort juste à temps pour ne pas être vu par son père, lequel, irrité de trouver la reine seule, renvoie en France sa dame d’atour, la comtesse Aremberg. Élisabeth la console (romanza «Non pianger, mia compagna»). Le roi invite Posa à se livrer à lui. Le marquis lui décrit son désarroi devant la terreur qui sévit dans les Flandres (scena e duetto «O Signore, di Fiandra arrivo»). Conquis par la franchise du jeune homme, Philippe lui confie les soupçons qu’il nourrit à l’égard de son fils et d’Élisabeth. Il fait de Posa son conseiller personnel et lui recommande de se garder du Grand Inquisiteur.
Acte II
Premier tableau
Dans les jardins de la reine, Don Carlos s’épanche auprès d’une femme masquée qu’il a prise pour Élisabeth (scena e duetto «Sei tu, sei tu, bell’adorata»). Il s’agit en fait d’Eboli, qui désormais connaît le secret de son amour. Posa, qui surprend la scène, tente de réduire la princesse au silence. Eboli leur conseille de craindre la fureur d’une femme repoussée (terzetto «Al mio furor sfuggite invano»). Posa demande alors à Carlos de lui confier tous les documents compromettants en sa possession. Après un moment d’hésitation envers le nouveau confident du roi, l’infant accepte.
Second tableau
Sur la grande place de Valladolid, le peuple est venu acclamer son souverain. Le grand bûcher de l’Inquisition se dresse, dans lequel on jettera les hérétiques. Philippe II jure de venger sa couronne par le fer et le feu. Carlos fait son entrée, à la tête de six députés flamands. Le roi refusant d’accéder à leur demande, l’infant dégaine son épée contre lui. Posa désarme Carlos, et Philippe II le fait duc (gran finale).
Acte III
Premier tableau
Seul dans son cabinet de l’Escurial, le roi s’abandonne à son amertume. Élisabeth ne l’a jamais aimé et la solitude du pouvoir lui pèse (introduzione e scena «Ella giammai m’amo… Dormirò sol»). Dans un duo d’une tension effrayante, le Grand Inquisiteur lui affirme qu’il peut sans aucun doute immoler son propre fils, puisque Dieu l’a fait (scena «Son io dinanzi al re ?»). L’Inquisiteur réclame également la tête de Posa, mais le roi la refuse. Il fait alors comprendre au souverain qu’il se trouve lui aussi dans la ligne de mire de l’Inquisition. Élisabeth fait irruption. Elle demande justice, car on lui a dérobé sa cassette. L’objet est en possession du roi, à qui Eboli l’a remise. Il la lui fait ouvrir et y découvre un portrait de l’infant. Élisabeth se justifie, rappelant que c’est à Carlos qu’elle fut tout d’abord fiancée, puis elle clame sa fidélité. Philippe II l’accuse d’adultère, et elle s’évanouit (scena e quartetto «Giustizia ! o sire»). Prise de remords, Eboli avoue le vol à la reine. Restée seule, elle se maudit d’avoir donné la cassette au roi et jure de sauver Carlos (aria «O don fatale»).
Second tableau
Posa rend visite à Carlos dans son cachot. Il le rassure : c’est sur lui, Posa, que les pièces à conviction ont été trouvées, et le désignent comme le coupable ; ses heures sont comptées («Per me giunto»). En effet, deux hommes s’introduisent et l’abattent. Posa expire en faisant jurer à Carlos de sauver les Flandres. Tandis qu’au dehors s’agite le peuple, soulevé par Eboli en faveur de l’infant, Philippe II vient rendre son épée à son fils, qui refuse avec vigueur et explique comment Posa s’est sacrifié pour lui. L’Inquisition mate le soulèvement et ordonne au peuple de se prosterner devant son roi (morte di Rodrigo e sommossa).
Acte IV
Au couvent de Saint-Just, agenouillée devant le tombeau de Charles-Quint, Élisabeth implore l’ancien empereur de l’aider à trouver la paix (scena ed aria «Tu che la vanità»). Don Carlos la rejoint. Il a vaincu son amour et vient lui faire ses adieux, avant de partir pour les Flandres (scena e duetto d’addio «È dessa !»). Philippe surprend cet entretien et, se méprenant, livre son fils à l’Inquisition. Le Moine sort alors du caveau. Paré du manteau royal et de la couronne de Charles-Quint, il prend Carlos sous sa protection et l’entraîne dans le cloître.
Davide Livermore
La part obscure du pouvoir
Davide Livermore livre sa mise en scène de Don Carlo à l’Opéra de Monte-Carlo dans une nouvelle production qui amplifie l’esthétique historique de l’œuvre d’art lyrique par des effets visuels hautement technologiques, au service d’un propos toujours contemporain.
Don Carlo est certainement l’un des opéras les plus sombres de Verdi. Quelle en est votre vision ?
Encore aujourd’hui, à notre époque, nous rendons grâce au travail artistique exceptionnel et unique qu’a accompli Giuseppe Verdi au XIXe siècle. En ce qui me concerne, je me mets à la disposition de cette partition absolument incroyable qui nous fait voyager dans les profondeurs de l’âme humaine, la solitude, et la part la plus obscure du pouvoir. Cecilia Bartoli a fait appel à moi à l’Opéra de Monte-Carlo pour réaliser une production fidèle à l’aspect historique, qui montre comment cet opéra peut s’avérer très contemporain, même à travers une mise en scène qui respecte la période d’écriture du livret. Je me suis beaucoup intéressé à la recherche visuelle et surtout à la relation entre les personnages pour donner accès à la profondeur de l’âme humaine, jusque dans sa part la plus obscure, en montrant le XVIe siècle d’une manière super technologique de sorte à créer toujours une interaction entre les images et ce qui se passe sur scène. Nous utilisons notamment des vidéos, et proposons par exemple des projections d’une peinture espagnole du XVIe siècle, tout étant toujours en mouvement, au même titre que l’histoire qui ne cesse d’évoluer, à l’instar de l’âme des personnages, quand le drame se joue sur scène.
Les univers visuels ainsi créés semblent s’apparenter à des modélisations mentales…
Oui, et nous entrons alors en quelque sorte dans l’âme des personnages, qui ont une influence sur les changements de décor, accompagnant de fait la progression du récit. Autrement dit, l’image amplifie encore davantage ce qui se passe dans l’histoire et dans l’âme de ces incroyables personnages.
Les personnages de Don Carlo possèdent en effet une grande profondeur de psychologie.
Exactement, et nous utilisons le décor pour intensifier la manifestation du drame intérieur.
Un mot sur la distribution, et en particulier à propos de Vittorio Grigolo dans le rôle-titre de Don Carlo...
La saison dernière, nous avons travaillé ensemble sur Les Contes d’Hoffmann à la Scala. Il a un talent, une voix et un timbre exceptionnels. A l’occasion de cette production, nous nous sommes très bien entendus, nouant de nombreuses connexions, notamment dans la recherche de la beauté.
Vous avez fait le choix de ne pas transposer Don Carlo dans une autre époque. Qu’en est-il des costumes ?
Oui, en effet, les costumes sont vraiment contemporains de l’époque du livret, et donc de la période du règne de Philippe II. Je voulais donner la possibilité de faire ressentir la contemporanéité de l’émotion de l’histoire de Don Carlo, qui ne dépend pas de la question de choisir une époque ancienne ou moderne pour les costumes, mais plutôt de la façon dont nous les utilisons pour raconter l’histoire, et je pense qu’il était important de conserver le contexte historique. Kubrick par exemple, avec Barry Lindon, a raconté une histoire tellement émouvante en ayant recours à une esthétique du passé dans sa mise en scène (Stanley Kubrick a adapté Les Mémoires de Barry Lyndon avec l’intention de recréer une époque révolue, envisageant son film comme « un documentaire sur le XVIIIe siècle », NDLR). Nous sommes absolument dans le XVIe siècle, mais en même temps avec la force d’un décor technologique alliée à celle de la référence historique des costumes.
Enfin, quels sont vos liens avec l’Opéra de Monte-Carlo, et a fortiori avec sa nouvelle directrice, Cecilia Bartoli, puisque vous reviendrez dès le mois de janvier dans l’actualité de la maison d’opéra monégasque pour la mise en scène d’une nouvelle production de Giulio Cesare in Egitto, avant qu’elle ne soit ensuite présentée à Vienne ?
Je remercie Cecilia Bartoli pour sa confiance et pour m’avoir proposé cette double collaboration. Je l’aime beaucoup, c’est une artiste exceptionnelle et je suis vraiment content à l’idée de travailler avec elle aussi sur scène, parce que c’est un rêve de voir réuni dans une même personnalité autant de capacités artistiques vocales d’un côté, et, de l’autre, un tel talent d’actrice… la voix, la beauté et le talent, c’est vraiment un miracle ! Je suis ravi de monter Giulio Cesare in Egitto avec Cecilia, mais mon histoire avec Monte-Carlo n’est pas nouvelle, puisque j’avais déjà été invité par Jean-Louis Grinda (ancien directeur de l’Opéra de Monte-Carlo de 2007 à 2022) à mettre en scène une production d’Adriana Lecouvreur qui avait gagné le Prix de l’Europe Francophone en 2017-2018. C’est un grand plaisir de me voir offrir la possibilité de revenir cette saison à deux reprises, avec ces œuvres exceptionnelles qui ont marqué chacune à leur manière des périodes de l’art théâtral lyrique, éloignées et très différentes, mais tout aussi intéressantes l’une que l’autre.
Propos recueillis par Emmanuelle de Baecke pour le n°63-Automne 2023 du magazine d'art et de culture
En 1867, une Exposition universelle doit consacrer la grandeur du Second Empire. L’Opéra de Paris, qui porte alors le nom d’Académie impériale de musique, y fera office de somptueuse vitrine : pour ce faire, on passe commande au compositeur lyrique le plus en vue de l’époque, Giuseppe Verdi. Le maestro émilien est loin d’être inconnu dans ce qu’il appelle la «grande boutique». Il y a déjà fait créer trois ouvrages : Jérusalem (adaptation de I lombardi alla prima crociata) en 1847, Les Vêpres siciliennes (œuvre entièrement originale) en 1855, et l’adaptation française d’Il trovatore (Le Trouvère) en 1857. L’expérience d’une reprise des Vêpres (6 juillet 1863) lui a laissé un souvenir cuisant, mais une fois passée la première réaction de rejet, il considère d’un œil plutôt bienveillant le projet d’une nouvelle collaboration, rassuré par la personnalité du nouveau directeur, Émile Perrin.
«Vous plaisantez ?», écrit-il le 19 juin 1865 à l’éditeur Léon Escudier, qui sert d’intermédiaire. «Écrire pour l’Opéra !!! Vous croyez qu’il ne peut y avoir aucun danger pour moi après ce qui s’est passé, il y a deux ans, aux répétitions des Vêpres ? Écrire pour l’Opéra avec les airs que se donne Mme Meyerbeer, qui étale ses broches, ses bracelets, médaillons, tabatières, bâtons de commandement, etc. Quelle affaire ! À son tour l’art se fait banque et il faut être millionnaire, sinon pas de succès ! Mais laissons ces intrigues minables et ces plaisanteries, car j’aurais la force d’affronter toutes les colères et toutes les malédictions, si j’avais à mes côtés un directeur intelligent et avec du caractère comme Perrin en a certainement.»
Perrin se montre très motivé. En juillet, afin de fléchir le compositeur, il envoie Escudier jusqu’à Sant’Agata, la propriété où Verdi s’est installé, près de sa ville natale de Busseto. La lettre de Perrin que porte Escudier comporte trois propositions : un livret sur Cléopâtre, un scénario d’après le Don Carlos de Schiller et l’idée d’un Roi Lear, projet souvent caressé par Verdi mais jamais réalisé. Elle assure en outre à Verdi qu’il disposera de grands moyens et d’une liberté considérable, notamment dans le choix des solistes. Verdi est parfaitement conscient des contraintes liées à l’Opéra de Paris et à la tradition du grand opéra à la française, dont les ouvrages de Meyerbeer restent le prototype. Il résout de faire de ces contraintes le tremplin de nouvelles conquêtes dramatiques et stylistiques et renvoie Escudier à Paris muni d’une lettre d’acceptation.
Perrin impose comme librettistes le poète et dramaturge marseillais Joseph Méry et un jeune écrivain, Camille du Locle, qui est par ailleurs son gendre. Le travail prend forme rapidement, mais Méry est emporté par la maladie le 17 juin 1866. La rédaction du livret prend immanquablement du retard, malgré la bonne volonté de du Locle et la minutie tatillonne dont fait preuve, comme à son habitude, le compositeur.
Les deux derniers actes naissent dans la douleur, certains numéros effectuant plusieurs allers et retours entre l’Italie et Paris. Car Verdi refuse de quitter ses terres. Il argue qu’il n’arrive pas à travailler dans la capitale française, dont le caractère bruyant, arrogant et mondain heurte sa simplicité et son indépendance de paysan. Mais surtout, en mai, la guerre a éclaté entre Autriche et l’Italie. L’attitude de Napoléon III, après la défaite italienne à Custoza le 24 juin, le met en fureur (lettre à Giuseppe Piroli du 5 juillet 1866) : «Je viens juste d’arriver à Gênes et je lis un bulletin qui dit : “L’Autriche a décidé de céder Venise à l’Empereur des Français” etc. Pourquoi à l’Empereur des Français ?»
Ses tentatives de rompre son contrat restent vaines. Il se décide donc la mort dans l’âme à partir pour Paris, priant Escudier de ne faire aucune publicité sur sa venue. Avec les répétitions surgissent les premiers problèmes : retards dans l’orchestration, rivalité entre les créatrices d’Élisabeth et Eboli et entre les deux basses principales (Philippe II et l’Inquisiteur), limites vocales du ténor chantant Don Carlos, lenteur des répétitions… À ces contretemps s’ajoute une douloureuse épreuve personnelle, la mort de son père, début février. La répétition générale du 24 février 1867 confirme certaines craintes du compositeur quant à la longueur de l’ouvrage. Il se trouve lié pieds et poings à certains usages de la «baraque», qui ont par exemple établi une fois pour toute la durée d’un opéra : entre les nécessités du dîner précédant la représentation et celles du départ des derniers trains de banlieue, le temps est calculé à la minute près, et Verdi se trouve obligé d’amputer sa partition d’un bon quart d’heure. La censure impériale rejoint à son tour ce destin contraire, désignant comme dangereux pour l’ordre public certains passages appelant à la liberté. Heureusement, l’archiviste de l’Opéra, Charles Truinet, alias Nuitter, déjoue les censeurs en leur produisant une pièce du prince Poniatowski dont certains passages étaient tout aussi incitatifs, pièce donnée sans coupure en 1860.
Malgré tous ces efforts, la première se déroule avec un succès mitigé, le 11 mars 1867 salle Le Peletier (le palais Garnier de l’Opéra de Paris ne sera inauguré qu’en 1875). Théophile Gautier, pour Le Moniteur, et Ernest Reyer, dans Le Journal des débats, saluent l’œuvre comme il se doit. Mais d’autres journalistes font payer à l’auteur le dédain avec lequel il les a traités : contrairement à l’habitude, les répétitions ont eu lieu à huis clos. Ils lui reprochent surtout de prendre trop de libertés avec le modèle de Meyerbeer. On déplore le climat morbide de l’ouvrage, ses harmonies instables, la manière dont Verdi s’affranchit de plus en plus du découpage traditionnel en numéros, auquel il préfère désormais une structure plus souple dans laquelle monologues et ensembles se relient sans heurts, tissés de subtiles réminiscences thématiques. Ce défaut a un nom : le wagnérisme, dont Verdi n’a pas fini d’entendre parler. Et le plus prompt à lâcher cette comparaison est un jeune compositeur qui fera son chemin : Georges Bizet, qui ne reconnaît plus en ce Verdi-là le compositeur qu’il avait tant aimé dans Il trovatore et Rigoletto.
Certes, l’orchestre joue dans Don Carlos un rôle primordial ; mais cela reste un opéra essentiellement lyrique, qui s’épanche en d’admirables airs et duos dont les formes sont autant de réponses individuelles aux vieux schémas de l’opéra italien. Surtout, le pessimisme de Verdi n’a rien de wagnérien ; ici, l’amour n’est pas rédempteur : il n’est qu’un facteur supplémentaire précipitant l’homme vers sa perte.
En vérité, le mélodrame verdien suivait fidèlement, depuis ses origines, une voie qui lui était propre, même s’il se nourrissait de l’expérience d’autrui (l’opéra français bien plus que l’allemand, et surtout l’exemple des grands dramaturges). Et Don Carlos s’inscrit pleinement dans cette progression : sans les expérimentations des opéras précédents, surtout La forza del destino, jamais n’aurait pu s’opérer la métamorphose d’un modèle empesé – le grand opéra à la française – en ce véritable chef-d’œuvre romantique. La plus grande concession de Don Carlos à la France sera, finalement, le respect et la sensibilité avec lesquels Verdi aborde la langue de Méry et du Locle : ses lignes vocales s’infléchissent vers un ton plus déclamatoire, la mélodie s’adapte subtilement à la prosodie. Pour autant, Verdi ne renonce à aucune de ses valeurs fondamentales. Au même titre que les ouvrages qui l’entourent, Don Carlos trouve sa couleur unique (la tinta chère à Verdi) : comme y pousse le modèle schillérien, elle est ténébreuse et maladive, attirée vers les registres graves des voix et des cuivres ; mais elle reste toujours guidée par l’exigence artistique et morale d’un compositeur qui, par-delà les modes et par-delà les sujets qu’il aborde, réussit à ne jamais se trahir lui-même.
Claire Delamarche
En juin 1867, moins de quatre mois après la création à Paris, arrivent d’excellentes nouvelles de la première londonienne, à Covent Garden. L’ouvrage y est présenté sous le titre de Don Carlo, traduit en italien par Achille de Lauzières et privé, dès lors, de l’acte de Fontainebleau et de La peregrina, le ballet de l’acte III (acte II dans la version en quatre actes, numérotation que nous utiliserons désormais). En octobre parviennent de Bologne des échos tout aussi satisfaisants : Angelo Mariani y a assuré la création italienne, avec en Elisabetta sa compagne, Teresa Stolz, soprano fétiche de Verdi. Le compositeur commente l’événement auprès d’Escudier (30 octobre 1867) : «Tout le monde dit que l’exécution est merveilleuse, et qu’il y a des effets très puissants. Je ne peux que faire quelques réflexions : ici, il n’y a qu’un mois que l’on répète, et l’on obtient de grands effets ; à l’Opéra, on répète huit mois et on finit par obtenir une exécution froide et glacée. Voyez si j’ai raison de dire qu’une main sûre, puissante, peut faire des miracles ! Vous l’avez vu avec Costa à Londres, vous le voyez encore mieux avec Mariani à Bologne. L’Opéra ne se persuadera-t-il jamais que ses exécutions, sur le plan musical, ne sont que médiocres ?»
Pourtant, Don Carlo peine à s’imposer dans la péninsule. À Rome, en février 1868, la censure papale impose quelques changements : le Grand Inquisiteur devient le Gran Cancelliere [Grand Chancelier] et le Moine un Solitario [Solitaire]. La création napolitaine, en 1871, est un échec. Le Teatro di San Carlo propose cependant à Verdi une reprise dès le mois de décembre de l’année suivante. Le compositeur en profite pour procéder à divers aménagements : deux coupures sensibles dans le duo Carlo/Elisabetta de l’acte IV, un passage entièrement neuf dans le duo Filippo/Posa à la fin de l’acte I. Antonio Ghislanzoni, qui vient d’écrire le livret d’Aida, assure la rédaction des nouveaux vers. Le succès de la première est assez mitigé, puis la Stolz tombe gravement malade, si bien que les représentations suivantes doivent être annulées. Verdi regrettera les révisions napolitaines, mais elles apparaîtront néanmoins dans les éditions successives de la partition pour piano durant douze ans. De plus, ces efforts se révèlent vains : Don Carlo reste incompris, et le succès de la reprise milanaise, en 1879, n’atténue guère l’amertume du compositeur.
Depuis 1875, Verdi envisage une révision plus drastique, afin notamment de ramener l’ouvrage à des dimensions plus acceptables de la part du public italien. Mais, explique-t-il, il doit prendre son temps afin de ne pas agir comme un «boucher» : la taille de la partition ne doit rien ôter à sa cohérence ni à sa richesse. La version originale de Don Carlos ayant été écrite en fonction du de la langue française, Verdi veut repartir sur la base de cette langue pour la version révisée. (De manière inverse, pour sa reprise au Théâtre-Lyrique de Paris en 1865, c’est dans son idiome d’origine, l’italien, que Verdi avait mené sa profonde refonte de Macbeth, avant de le traduire en français.) Verdi se trouve donc obligé de renouer avec du Locle, avec qui il s’était brouillé pour une sombre histoire de dettes. La révision de Don Carlos prendra neuf mois, en 1882-1883, soit le double de celle, beaucoup plus conséquente, subie quelques mois plus tôt par Simon Boccanegra.
Le premier acte, l’acte de Fontainebleau, disparaît dans sa quasi-totalité ; seule survit la romance de Carlos, reprise avec de légères modifications dans l’acte I. Un nouveau prélude en reprend le thème au début de l’acte II, en remplacement du ballet. Plutôt que de se contenter de coupures, Verdi préfère reprendre complètement les morceaux qu’il considère comme les plus faibles. Quelques récitatifs jugés insipides sont réécrits, et des scènes clefs, comme le duo entre Carlos et Posa et la scène de l’émeute, sont condensées afin de prendre encore plus de force. Le quatuor de l’acte III subit de nombreuses modifications musicales, sans que le texte soit vraiment changé. Mais le passage le plus radicalement transformé est la seconde partie du duo entre Philippe II et Posa, à la fin de l’acte I – le morceau même que Verdi avait déjà tenté de remanier pour Naples en 1872. À la place d’une succession de courtes périodes en style cantabile se dresse désormais un monument dramatique aussi imposant que le duo entre Philippe II et l’Inquisiteur, dans lequel rien de la mélodie, de l’harmonie, du rythme ou de l’accompagnement n’est jamais figé. Dans cette mobilité, on reconnaît la marque du second Boccanegra (1881) et l’on perçoit déjà Otello (1887) ; l’éclat orchestral est tout aussi caractéristique du dernier Verdi, notamment le coup de tonnerre saluant les paroles de Posa : «Paix horrible ! c’est la paix des cimetières !» / «Orrenda pace ! la pace è dei sepolcri !»
Cependant, de nombreuses pages demeurent inchangées : la cabalette «Dieu, tu semas dans nos âmes» / «Dio, che nell’alma infondere» du duo Posa / Carlos, où les deux amis se jurent fidélité sur des tierces bien conventionnelles ; la pittoresque et exotique Chanson du voile d’Eboli, morceau décoratif par excellence ; ou encore le vaste finale de l’acte II, formé par la scène de l’Autodafé, dans laquelle est transfiguré le goût français pour les grandes scènes de foule et les orchestres de scène. Mais d’autres passages plus cruciaux encore avaient trouvé dès 1866 le ton juste : le duo Carlos / Eboli de l’acte II, qui se transforme en trio avec l’arrivée de Posa ; le second air d’Eboli, «O don fatal» à l’acte III ; les deux airs d’Élisabeth, la romance «O ma chère compagne» / «Non pianger mia compagna» à l’acte I et «Toi qui sus le néant» / «Tu, che la vanità conoscesti» au dernier ; le duo Carlos / Élisabeth de l’acte I ; et surtout tout le début de l’acte III, avec la grande scène de Philippe II, puis son affrontement si poignant avec l’Inquisiteur.
La traduction des nouveaux textes est confiée à Angelo Zanardini, qui révise par la même occasion le texte italien de Lauzières. La partition de la version en quatre actes est prête en mars 1883, mais la création n’a lieu que le 10 janvier suivant dans le saint du saint verdien, la Scala de Milan. «La soirée fut étrange, raconte Filippo Filippi dans le journal Il fanfulla della domenica. Les manifestations d’ivresse, d’enthousiasme alternaient avec des périodes de calme, voire de froid.» Il attribue ce phénomène aux «quelques incertitudes de l’exécution», dans laquelle brille cependant le ténor Francesco Tamagno, créateur de Gabriele dans le second Boccanegra et futur Otello. Le journaliste s’est également livré à des calculs savants : à mise en page similaire, conclut-il, l’édition originale de Don Carlos compte 375 pages et 4548 mesures, tandis que la version de Milan se réduit à 79 pages et 1301 mesures de moins.
L’épopée de Don Carlos ne s’arrête pas là. Verdi se montre satisfait de la version milanaise, qu’il juge plus vive, plus musclée que les précédentes. Pourtant, deux ans plus tard, il décide une nouvelle refonte de la partition à l’occasion d’une reprise à Modène (19 décembre 1886) : Don Carlos est donné dans sa version milanaise, augmentée de l’acte de Fontainebleau ; bien entendu, la romance de Carlos reprend sa position d’origine, au début de l’acte retrouvé. C’est cette version révisée en cinq actes qui est imprimée, en italien, par Ricordi l’année suivante, reflétant semble-t-il le dernier état des réflexions de Verdi.
Le théâtre désireux de monter Don Carlos se trouve désormais confronté à cinq versions principales : la version française originale de 1866, que Verdi n’a entendue qu’en répétitions, en cinq actes avec ballet ; celle de la création parisienne en 1867, correspondant à la précédente allégée d’un bon quart d’heure (notamment le chœur des chasseurs initial et le duo Philippe II / Carlos «Qui me rendra ce mort» / «Chi rende a me quell’uom», réemployé dans le Requiem sous la forme du «Lacrymosa»), en cinq actes avec ballet ; la version napolitaine de 1872, avec quelques changements que Verdi devait condamner ; la version milanaise de 1884, largement remaniée et condensée, amputée comme celle de Naples de l’acte de Fontainebleau et du ballet ; et celle de Modène, correspondant à celle de Milan augmentée de l’acte de Fontainebleau, mais pas du ballet.
Claire Delamarche
Friedrich von Schiller (1759-1805) compte parmi les auteurs favoris de Verdi, qui lui emprunta le sujet de quatre opéras. Malgré certaines pages d’une grande beauté, les trois premiers ne comptent pas parmi les ouvrages majeurs du compositeur. Giovanna d’Arco (1845), d’après La Pucelle d’Orléans, bouscule peu les conventions, malgré la force de son rôle-titre. Concocté pour Londres et le «Rossignol suédois» Jenny Lind, I masnadieri (1847) est inspiré par Les Brigands et son héroïne retourne au bel canto de Bellini, voire de Rossini ; le poids psychologique de l’œuvre repose davantage sur les deux rôles graves masculins, Francesco et Massimiliano. En s’immergeant pour la première fois chez les gens les plus ordinaires, Luisa Miller (1849), d’après Cabale et Amour, marque un changement de cap, poursuivant la métamorphose induite par Macbeth (1847) : les héros quittent la scène, voici venu le temps des personnages. Cela reste toutefois un ouvrage de transition, dont les promesses ne seront réalisées que dans la «trilogie» de 1851-1853 : La traviata, Rigoletto et Il trovatore.
Pièce de jeunesse (1787), Don Carlos se prêtait certainement moins bien au passage à la scène lyrique. De tous les drames de Schiller, c’est le plus long et le plus complexe : un entrelacs de lignes dramatiques si imbriquées qu’il semble impossible, à première vue, d’ôter une maille sans que tout l’ouvrage se défasse. Pourtant, Verdi et ses librettistes réussirent le tour de force de lui donner la lisibilité nécessaire à la mise en musique tout en restant fidèles à son esprit. Certes, les changements sont nombreux. Les contraintes liées à l’opéra imposèrent de réduire le drame au sixième de sa longueur et de diminuer considérablement le nombre d’entrées, de changements de scènes et de décor. Ainsi Carlos et Posa se rencontrent-ils trois fois, chez Schiller, pour échafauder leurs plans ; un seul duo suffit chez Verdi. De même, le premier tableau de l’acte II, réunissant Carlos, Eboli et Posa, résume-t-il à lui seul sept scènes et sept cents vers de la pièce.
Dans le but de clarifier le plateau, Joseph Méry et Camille du Locle effectuèrent également une redistribution des rôles secondaires : les dames de la reine (comtesse Fuentes, duchesse Olivarez), certains Grands d’Espagne (Raimond de Taxis, duc de Medina Sidonia, duc de Feria), que Schiller laissait s’exprimer individuellement, furent remplacés par des chœurs. Plusieurs autres personnages firent les frais de cette simplification drastique : secondaires comme l’infante Clara Eugenia, le prince Alexandre Farnèse, neveu du roi, ou Merkado, le médecin personnel de la reine, ou de premier plan comme Domingo, moine, confesseur personnel du roi, et surtout le duc d’Albe, chef du parti opposé à Carlos, dont Eboli est l’instrument. En fait, la puissance «négative» de ces deux derniers personnages est redistribuée dans l’opéra entre l’Inquisiteur et Philippe II, qui prennent une ampleur nouvelle : le portrait du roi est si remarquable qu’il n’est pas loin de devenir le personnage central du drame, plutôt que le rôle-titre, son fils.
Pour complaire au goût parisien, on ajouta en échange un acte préliminaire, situé à Fontainebleau et sacrifié dans les versions ultérieures en quatre actes, et la spectaculaire scène chorale de l’autodafé, qui clôt l’acte II. Quant au personnage de Charles Quint (alias le Moine), c’est une trouvaille de du Locle, à laquelle Verdi refusa longtemps de se plier avant de reconnaître son efficacité dramatique.
Ces modifications n’altéraient en rien l ‘imbrication complexe entre plusieurs rouages dramaturgiques (l’arrière-plan politico-religieux, le traditionnel «triangle amoureux», l’amitié entre Carlos et Posa, les rapports père-fils entre l’infant et Philippe II,…), et la rendirent même plus frappante. Et surtout, la profondeur des personnages ne fut en rien sacrifiée. Avec six premiers rôles (Philippe II, Carlos, Posa, l’Inquisiteur, Élisabeth et Eboli), sans compter les deux rôles comprimarii (le Moine et Thibault), Don Carlos offre le plateau le plus fourni de toute l’œuvre de Verdi, à égalité avec celui de La forza del destino. Mais un système très efficace de monologues et de duos permet de contourner en détail chacun d’eux : Verdi tourne définitivement le dos au modèle de la scena ed aria caractéristique de ses jeunes années au profit de scènes beaucoup plus souples, induites en grande partie par le caractère plus déclamé de la langue française (langue originale de la version parisienne de 1867, bien sûr, mais également des deux versions italiennes de 1884 et 1886, qui ne furent traduites que dans un second temps).
Don Carlos porte bien quelques «traces» du style antérieur du compositeur. La plus évidente est la sorte de cabalette ponctuant le duo entre Carlos et Posa, à l’acte I, dans laquelle les deux amis se jurent fidélité et loyauté éternelles. Ces lignes viriles à la tierce évoquent indéniablement la manière des opéras patriotiques. Mais elles trouvent de multiples justifications. Tout d’abord, Verdi avait besoin d’un thème qui marque les esprits : dans certaines scènes ultérieures, sa simple citation rappellerait la force de cette amitié bien mieux que des mots (lorsque, sous la menace d’Eboli, Carlos remet à Posa des documents compromettants ; lors de l’Autodafé, quand Posa désarme l’infant ; et enfin à la mort de Posa). Par ailleurs, cet épisode s’inscrit dans une scène beaucoup plus vaste et qui répond entièrement aux critères de liberté formelle du dernier Verdi. L’agitation générale de ce duo traduit celle de Carlos, avouant à Posa son amour pour Élisabeth, et reprend le dessus au cœur de la «cabalette» du pacte, lorsque l’infant voit sa bien-aimée apparaître au bras de son royal époux ; les exhortations conjointes de Posa et du Moine ramènent Carlos à la raison, mais on a bien saisi la fragilité de son état.
Le couple formé par Posa et Carlos, incarnant les valeurs du libéralisme et du progrès, se heurte à l’autre paire masculine, représentant l’absolutisme et formé par Philippe II et l’Inquisiteur. Déjà, Schiller faisait dire à Posa : «Le siècle n’est pas mûr pour mon idéal. Je vis en citoyen de ceux à venir.» Verdi s’en tient au même jugement : «Posa est un véritable anachronisme, étant donné qu’il professe des idées humanitaires au sens le plus moderne, et ce au temps de Philippe II.» On croit un moment que les deux idéaux vont pouvoir se rencontrer : lors du magnifique duo entre Posa et Philippe, à la fin de l’acte I, lorsque le Monarque fait du marquis son homme de confiance. Mais le sacrifice de Posa, qui se laisse abattre dans le cachot où est enfermé Carlos, prouvera à quel point ils étaient incompatibles.
Philippe est sans conteste l’une des figures les plus extraordinaires créées par Verdi. Par raison d’État, il a épousé lui-même la jeune Élisabeth de Valois, pourtant promise à son fils Carlos. Depuis lors, il vit sous la triple menace d’un amour incertain, d’une situation politique explosive dans les Flandres et des exigences terribles de l’Inquisition. Roi extrêmement puissant, il est aussi désespérément seul et malheureux. La musique exprime cela dans son monologue monumental de l’acte III, introduit par un solo de violoncelle situant exactement le climat lugubre de l’Escurial. Ainsi tourmenté par l’angoisse et l’amertume, Philippe est une proie facile pour l’Inquisiteur, autre figure monumentale que quatre mesures dans le registre grave de l’orchestre suffisent à dessiner. Dans cet affrontement d’une extrême dureté entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux, le second a très rapidement le dessus : dans l’implacable marche harmonique initiale, c’est l’Inquisiteur qui prend l’initiative des modulations, Philippe se coulant dans le moule ainsi défini. Une fois le monarque plié à sa volonté, l’Inquisiteur n’a qu’un mot à dire pour que lui soit livré Posa, seul ami que Philippe ait jamais eu.
Face à la personnalité contradictoire du roi, l’Inquisiteur apparaît d’une seule pièce. Cadavre vivant, présenté comme un vieillard aveugle, il n’a aucun caractère humain : c’est un personnage idée, incarnant une force brutale d’anéantissement ; il n’a d’équivalent chez Verdi que dans Ramfis, le grand prêtre d’Aida.
Seul un mort pouvait dominer cet être mortifère, en l’occurrence le Moine, qui se révèle in extremis être le spectre de Charles Quint, père de Philippe. Au moment où les gardes de l’Inquisiteur vont se saisir de Don Carlo, le spectre apparaît, portant le manteau et la couronne royaux ; il entraîne dans le cloître l’infant éperdu. Au contraire de la pièce, qui se referme dans un bain de sang, l’opéra se résout sur une immobilité apaisante et la promesse, par le défunt empereur, de la félicité céleste ; ses paroles font écho à celles qu’il avait prononcées à Carlos dans la scène initiale de l’acte I, au couvent de Saint-Just, refermant l’opéra en une symétrie parfaite (y compris dans sa version en cinq actes, où l’acte de Fontainebleau fait quelque sorte office de prologue).
Dans ce monde d’hommes, les deux personnages féminins sont loin d’être des faire-valoir. Comme souvent chez Verdi, leur caractère s’affirme dans leurs airs, mais plus encore dans leurs ensembles, notamment dans leurs duos avec Carlos. La musique dépeint chaque méandre de la lutte intérieure de la reine, princesse française prisonnière de la bigoterie insupportable de la cour espagnole et femme en proie à un amour interdit. Mais Élisabeth agit en souveraine, retranchée derrière son devoir. Son émotion affleure souvent, tant dans ses adieux à sa dame de compagnie renvoyée par le roi, à l’acte I, que dans ses deux duos avec Carlos, aux actes I et IV. Mais elle est surtout renoncement, comme l’exprime son air ultime. Face à Philippe qui la harcèle, elle n’a d’autre issue que de s’évanouir ; à la fin de l’opéra, comme le souligna Verdi, elle n’a plus rien d’autre à faire que de mourir.
Beaucoup plus active semble Eboli, par qui le drame se déclenche. Elle est mue par son amour insatisfait pour Carlos, transformé en haine jalouse : surprenant le secret de l’amour de Carlos pour Élisabeth, elle vole à la reine un coffret renfermant le portrait de l’infant et le remet au roi, dont elle a été la maîtresse. Son remords, exprimé dans l’un des airs les plus vibrants de l’ouvrage, est trop tardif : chassée de la cour par la reine, elle entraîne dans sa chute tous les personnages qui l’entourent. C’est en vain qu’elle soulève le peuple, à la fin de l’acte III, pour exiger la libération de Carlos : l’émeute est matée par Philippe et l’Inquisiteur, dont elle renforce l’union.
Sans cesse remis sur le métier durant près de deux décennies, Don Carlos n’a jamais trouvé sa forme idéale. Il n’a pas la concision cinglante, la perfection formelle d’Otello (1887), auquel Verdi travaillait déjà tandis qu’il s’affairait aux deux révisions italiennes de son chef-d’œuvre schillérien. Partagé entre l’exaltation et le désespoir, l’ouvrage n’embrasse pas un éventail aussi considérable de climats qu’Un ballo in maschera (1859) et surtout La forza del destino (1862), kaléidoscope bigarré où le pittoresque et le bouffon le disputent à la plus pure tragédie. Par ailleurs, Don Carlos est certainement l’un des opéras où Verdi met le moins de sa vie intime, se maintenant dans un registre politique et religieux qui lui tenait certes à cœur, mais avait des résonances moins douloureuses. Il s’oppose en cela à l’ouvrage qui connut un destin similaire et à peu près contemporain, Simon Boccanegra, créé en 1857 et remanié de fond en comble en 1881 : centré sur la relation père/fille si cruciale pour le compositeur, c’est certainement son ouvrage le plus personnel, et peut-être le plus beau.
Pourtant, Don Carlos passe souvent, et à juste titre, comme la partition la plus représentative du génie verdien. C’est son ouvrage le plus ambitieux et, dans sa version en cinq actes, le plus long. Le soin que Verdi apporta à ses révisions successives prouve assez le prix qu’il lui accordait. Fusion intime entre ce que le mélodrame italien et l’opéra français offraient de meilleur, Don Carlos reste un ouvrage enthousiasmant, même si aucune version n’est à même de rendre compte de sa richesse extraordinaire : représenter Don Carlos exige toujours des choix, et donc des sacrifices. Et finalement cet aspect non figé est peut-être ce qui le rend si touchant.
Claire Delamarche